Reboisement ; maladies des arbres forestiers ; inventaires forestiers
Pierre BAZIRE
(1923 – 2006)
Il revenait à Jean GADANT de faire l'éloge de Pierre BAZIRE, son collègue, son collaborateur et, surtout, son ami. Malheureusement, les suites d'une grave opération chirurgicale ne permettent pas à notre confrère d'être à la tribune de l'Académie aujourd'hui; il m'a donc demandé de m'acquitter de ce devoir, en tant que successeur de Pierre Bazire au Secrétariat de la Section "Bois et Forêts" de notre Compagnie.
Je ne peux mieux faire que de commencer par citer Jean Gadant : "Appelé en 1974 à la Direction du Service des forêts, je conserve avec émotion le souvenir de notre confiante coopération, du solide soutien qu'il m'apporta, de ses conseils toujours pertinents; combien je lui suis reconnaissant d'avoir si amicalement guidé les premiers pas d'un forestier provincial dans le pilotage délicat d'une administration centrale". Ce témoignage prend toute sa valeur lorsque l'on sait que Pierre Bazire avait été candidat à ce poste de Directeur du Service des Forêts, il montre sa droiture, sa conscience professionnelle, la profondeur de son amitié.
Pierre Bazire nous a quittés le 26 février dernier; selon son vœu, ses obsèques ont eu lieu dans l'intimité familiale. Il était né le 1er décembre 1923, dans une famille d'enseignants, à Thonon-les-Bains, ce qui explique peut-être que, toute sa vie, il gardera un tropisme montagnard, alpin en particulier. Son parcours scolaire fut exceptionnellement brillant avec des mentions "très bien" aux baccalauréats de mathématique et de philosophie, et sa réussite au concours d'entrée à l'Institut National Agronomique après une seule année de préparation. Mais, à cette époque, c'était la guerre et l'occupation, Pierre Bazire était à Toulouse et il ne put entrer immédiatement à l'Agro. Il s'inscrit alors au certificat de chimie générale à la Faculté pour passer utilement le temps, un temps qu'il consacre aussi à des activités plus dangereuses au sein d'une organisation de résistance. Il est ensuite mobilisé dans le Génie à Avignon, et c'est seulement en 1946 qu'il peut enfin entrer à l'Institut National Agronomique d'où il sortira deuxième pour aller à l'Ecole Nationale des Eaux et Forêts, dont il sortira major de sa promotion.
Et Pierre Bazire va d'abord, pendant seize ans, être un forestier de terrain à Senlis puis à Chantilly, chef de cantonnement, puis chef d'inspection. Il a, là, à gérer des massifs forestiers prestigieux comme les forêts d'Halatte et d'Ermenonville. Sur cette période, on ne peut mieux faire que de citer le témoignage d'un de ses jeunes collaborateurs, André Soubeiran, aujourd'hui Ingénieur Général honoraire : "Bazire était un très bon forestier, je peux dire un forestier complet, compétent dans tous les domaines, ouvert à tous les aspects du métier, qu'ils soient techniques, administratifs, de conduite des hommes, de relation avec les exploitants, la préfecture, la forêt privée ... Il a été un initiateur remarquable et ce que j'ai appris dans ce poste de mise en selle professionnelle, sous son accompagnement vigilant, à la fois attentif et amical, est resté pour moi un repère solide et fiable ...". Il n'y a rien à ajouter à ce portrait.
Mais Pierre Bazire est nommé Ingénieur en Chef et est appelé à la Direction Centrale de l'Administration. Sous-Directeur, il a en particulier la charge du Fonds Forestier National, lourd service qu'il développe, s'attachant à tous les aspects, techniques (nous allons y revenir), juridiques et financiers qui ne sont pas secondaires. Sur le plan technique, il se préoccupe en particulier de la qualité des graines et plants, origine, qualité génétique. Il met en application la nouvelle réglementation sur l'amélioration génétique des arbres forestiers. Il encourage et suit de très près les premiers vergers à graines de résineux. Or, il faut bien remarquer que si, à cette époque, les chercheurs se préoccupaient de ces questions, la qualité du matériel végétal n'était pas toujours la grande préoccupation des reboiseurs. Sur le terrain, Pierre Bazire a fait œuvre de pionnier.
En 1978, nommé Ingénieur Général, il prend en charge le Service de l'Inventaire Forestier National. Il succède au prestigieux fondateur de l'IFN, l'Ingénieur Général Brenac, succession difficile qu'il assume en développant les moyens du Service et en poursuivant la mise au point scientifique des techniques d'inventaire. Sous sa direction, on releva aux points d'inventaire des renseignements sur les sols, la végétation, la bio-diversité. Mais on note aussi la difficulté de l'exploitation et du débardage, car Pierre Bazire est préoccupé par l'utilisation des résultats d'inventaire pour l'évaluation de la ressource de bois mobilisable. L'un des premiers dans l'Administration, il parle de "bassins d'approvisionnement" pour les industries de la filière. A tous points de vue, l'Inventaire Forestier National devient une référence internationalement reconnue.
Arrivé à ce niveau de compétence, Pierre Bazire représente l'administration forestière française dans de nombreuses réunions françaises, européennes, internationales. Et cette compétence est reconnue internationalement; la Communauté économique européenne, la FAO, l'OCDE font appel à lui, il effectue de nombreuses missions d'expertise et de conseil technique à la demande de pays étrangers.
Ses publications sur la gestion des forêts, les inventaires, le reboisement, la filière bois sont extrêmement nombreuses. Et, en 1988, élu à l'Académie d'Agriculture, il devient très rapidement Secrétaire de la Section "Bois et Forêts" qui ne pouvait rêver Secrétaire plus compétent et plus prestigieux.
Pierre Bazire, forestier de terrain, forestier administrateur, était resté passionné de science et, lecteur assidu des grandes revues scientifiques, se tenait très au courant de l'évolution des sciences bien au-delà de ses spécialités. Il unissait cette culture scientifique et son goût de l'espace naturel lors de ses grandes randonnées, de naturaliste plus que de sportif, en haute montagne, et aussi en participant à des expéditions savantes au Groënland, en Alaska, au Spitzberg, car il était passionné de glaciologie. Ses randonnées étaient celles d'un savant, mais il faut noter qu'il était sportif et grand navigateur.
Les mérites de Pierre Bazire ont été officiellement reconnus. Il était Officier de la Légion d'Honneur. Il faut noter à ce propos qu'il a été le président d'une des sections les plus importantes de la Société d'entraide des membres de la Légion d'Honneur. Il était aussi Chevalier des Palmes académiques et Commandeur du Mérite Agricole.
C'est donc à un forestier éminent, mais modeste, trop modeste, discret, trop discret, que nous rendons hommage aujourd'hui; un homme que notre Compagnie peut être fière d'avoir compté parmi ses membres.
Georges TOUZET