Le document montre que les risques de déstabilisation du marché mondial du lait par une croissance de l’offre supérieure à la demande sont réels à moyen terme, même si des effets conjoncturels, climatiques, économiques ou géopolitiques peuvent en retarder le déclenchement (comme en 2018). Les enseignements de la crise laitière de 2015-2016, destructrice de richesses et d’emplois et menaçant la vitalité de certains territoires ruraux (en montagne notamment) ont été analysés. C’est d’abord à l’échelle de la gestion communautaire de la production laitière qu’il s’agit de chercher des solutions. En supprimant les quotas sans pare feu, la Commission a joué les apprentis sorciers. Le manque d’anticipation et de moyens de régulation qui ont précipité la crise dans la durée est de sa responsabilité. Il s’agit maintenant de proposer des solutions pragmatiques, opérationnelles et hiérarchisées d’anticipation et d’intervention lorsque les signaux d’alerte virent au rouge. La surveillance et l’analyse des marchés laitiers communautaires et mondiaux permettent de déclencher ces alertes en cas de ralentissement ou de baisse de la demande dans un contexte de développement de la production, de croissance des stocks publics et privés et en cas de chute des prix…bref en cas de signes annonciateurs d’une crise durable.
Le stockage public de beurre et /ou de poudre a montré ses limites en 2015-2016. Il n’a eu qu’un faible impact sur les prix, le filet de sécurité étant fixé en dessous du seuil de survie. Il faut donc le réactualiser en fonction de l’évolution des coûts de production, tout en sachant qu’une garantie de prix peut également envoyer de mauvais signaux à certains producteurs qui profitent de l’intervention pour poursuivre la croissance de leur production laitière en anticipant la stabilisation des prix. Le déclenchement du stockage public doit donc être lié à la mise en oeuvre de mesures obligatoires et contraignantes de gestion de l’offre à l’échelle communautaire, sans possibilités de dérogation pour les Etats membres afin de ne pas encourager les comportements de « passager clandestin ». Nous recommandons donc la revalorisation du prix d’intervention autour de 300€/t, associée à une gestion coordonnée de l’offre en actionnant l’article 221 de l’OCM unique. L’aide versé aux producteurs limitant leur production laitière (bonus) devrait s’accompagner d’une pénalité dissuasive (malus) pour ceux qui l’augmenterait au-delà d’une certaine référence. Nous sommes bien conscients que ces propositions de régulation du marché du lait en cas de crise ne vont absolument pas dans le sens de la libéralisation complète des marchés agricoles prônée depuis plus de vingt années par la Commission et se concrétisant par la multiplication des projets d’accords bilatéraux. Les périodes de crise sont considérées par Bruxelles comme un des moyens d’éliminer les exploitations les moins « compétitives » (en fait souvent des exploitations moyennes et grandes, en phase de croissance et d’endettement, situées dans des régions de faible valorisation du lait…) afin de réduire les coûts unitaires de production au bénéfice (en théorie) des consommateurs. Les conséquences négatives de l’abandon de la production laitière sur la vitalité de certains territoires 22 ruraux avec la baisse des emplois directs et induits ne sont malheureusement pas prises en compte dans les projections de la Commission à l’horizon 2030. Or la Commission annonce (Commission 2018) que les prévisions de croissance du marché mondial seraient deux fois moins élevées d’ici 2030 que lors des deux dernières décennies et elle préconise de mieux répondre aux spécificités du marché européen, avec des produits de qualité mieux valorisés pour des citoyens- consommateurs de plus en plus exigeants. Mais elle n’en tire pas les conséquences pour sa politique laitière qui reste tournée vers le grand export et la compétition mondiale. En continuant à soutenir les grandes structures de plaine et le modèle agro-industriel international, la Commission pénalise les régions d’élevages des zones non labourables qui présentent pourtant tous les atouts d’un élevage laitier durable et répondant au mieux aux différentes attentes sociétales. Cette incohérence est incompréhensible pour le grand public et encore davantage pour les éleveurs De plus elle risque de pénaliser aussi non seulement notre sécurité alimentaire et nos territoires les plus fragiles, mais aussi notre capacité à rebondir demain lorsque les marchés extérieurs seront plus porteurs ou déstabilisés par des catastrophes majeures. En effet il nous semble assez paradoxal de prévoir une décennie de relative stabilité voire d’abondance pour bon nombre de matières premières alimentaires par rapport aux énormes incertitudes géopolitiques et climatiques évoquées précédemment. Il nous semble clair qu’il faudra davantage de régulation des marchés et de coopération entre pays et continents plutôt que de compétition, notamment face à l’urgence climatique.