C’est à Beaumontel sur le plateau du Neubourg dans l’Eure, sur une piste aérienne désaffectée, entre les deux fermes mitoyennes de son grand père et de son père que Bertrand Hervieu a fait ses premiers pas. Le fils que tout le monde attendait après la naissance de ses quatre sœurs est un garçon particulièrement choyé par ses grands parents. Mais, face à un destin tout tracé de chef d’exploitation agricole et la figure emblématique d’un père, Robert Hervieu, qui faisait autorité dans les instances professionnelles agricoles, Bertrand Hervieu choisit une autre voie, en quelque sorte une « rupture » contre un choix de vie malgré lui. Ce choix, il l’évoque dans « Les champs du futur », un livre prémonitoire publié en 1993, pressentant « la fin d’un métier, d’une manière de l’exercer, d’un territoire et d’une façon de le gérer ».
Très tôt, attiré par les Lettres plutôt que les mathématiques il passe le diplôme de Sciences politiques et il choisit de s’orienter vers les sciences sociales afin de comprendre le milieu où il vivait et devenir un observateur privilégié du « Chambardement de la France paysanne » d’après l’historien Fernand Braudel, « cette agriculture paysanne victime des 30 glorieuses » selon l’expression d’Henri Mendras auteur de « La fin des paysans ». C’est ce dernier qui le repère et lui met le pied à l’étrier dans son école doctorale après qu’il eut fait un exposé sur la JAC. Plutôt que de présenter l’ENA, il décide de faire sa thèse sur une question mal étudiée : les ouvriers dans l’industrie du monde rural. Cela lui ouvre les portes du CNRS où, avec son épouse, il publie deux ouvrages sur le retour à la nature et l’apparition des communautés néo-rurales après les évènements de mai 68.
Cette expertise lui permet d’être repéré par la Délégation à l’Emploi au ministère du Travail qui le sollicite pour bâtir un programme d’aide à l’emploi en milieu rural, ce qui marque un nouveau virage dans son itinéraire professionnel. Il est ensuite coopté par Michel Gervais, nouveau DGER à la sous direction de la Recherche à un moment passionnant, avec les réunions interministérielles pour la Loi Chevènement. Il a ensuite été amené à être le conseiller de différentes personnalités ministérielles comme Edith Cresson, Michel Rocard et Henri Nallet. Mais de 1986 à 1996, pendant dix ans, du fait des changements de majorités politiques, il est écarté des sphères gouvernementales. Il est réintégré au CNRS, puis rejoint le CEVIPOF, ce qui lui permet de se consacrer à nouveau à la recherche, à l’enseignement à Sciences Po, à l’ENA et à l’université sans oublier de nombreuses publications et un intermède à Matignon auprès d’Edith Cresson pour préparer les « Assise du monde rural » qui ne se sont jamais faites.
En 1997, après la dissolution surprise de l’Assemblée Nationale et le retour aux affaires du Parti socialiste, Bertrand Hervieu est de nouveau appelé comme expert suite à l’annonce d’une Loi d’orientation agricole par le Premier ministre Lionel Jospin, loi qu’il va piloter sous la houlette successive de deux ministres de l’Agriculture Louis Le Pensec et Jean Glavany. S’enchaînent ensuite des postes de responsabilités à la DGER, comme président de l’INRA, puis secrétaire général du CIHEAM avec un regard sur toute la Méditerranée, nommé inspecteur général de l’Agriculture par Michel Barnier et pour finir Vice président du CGAER par Stéphane Le Foll, sans cesser de conseiller les ministres, comme par exemple pour l’élaboration de la dernière LOI d’Avenir de l’Agriculture.
Bertrand Hervieu, on le voit, illustre à lui seul le contraste entre villes et campagnes, du fait de ses choix de carrière et de ses attaches familiales où il occupe à nouveau la maison de ses parents. Il a été un observateur privilégié et un inspirateur fécond des politiques agricoles pour tenter de décloisonner l’agriculture et son environnement. D’où sa volonté, dans sa fonction de conseiller, de souhaiter mettre en place la notion de « contrat » entre l’agriculture, le politique et la société.
Au fil des mois et années passés au contact du pouvoir dans les palais de la République et à sonder le pouls des campagnes françaises, Bertrand Hervieu s’est forgé une conviction : pour un avenir meilleur l’agriculture et principalement les agriculteurs devront désormais passer de nouveaux contrats avec la Nation et la société civile (comme le CTE et maintenant le GIEE)…avec toutefois un regret, c’est que l’Etat n’ait pas été en mesure de dégager suffisamment de moyens pour accompagner cette transformation, voire cette nouvelle révolution du monde agricole.
Bertrand HERVIEU, Président de l'Académie pour l'année 2018
Auteur:
Jean-François COLOMER