Un groupe de travail de l'Académie d'agriculture de France s'est penché sur ces questions. Il vient de rendre public la synthèse des échanges entre ses membres, qui n'engage que ses signataires.
En voici la conclusion :
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Les sociétés occidentales sont de plus en plus à la recherche d’un équilibre entre l’intérêt des animaux et ceux des propriétaires/détenteurs, autrement dit entre la reconnaissance de la nature sensible des animaux et l’acceptation de leurs utilisations économiques. L’évolution d’écriture du Code civil a ouvert la porte à de nouvelles discussions entre ceux qui veulent accorder des droits aux animaux et ceux qui réfléchissent à des traitements juridiques organisés autour du droit des biens. Ce débat reste largement ouvert. Les travaux menés par de nombreux juristes universitaires et la prolifération de formations universitaires sur le sujet montrent tout l’intérêt de ce sujet qui continue d’évoluer. Afin de garantir une évolution du traitement juridique des animaux en harmonie avec les progrès de la science sur la sensibilité émotionnelle des animaux et leurs utilisations économiques, notamment en élevage, il est impératif d’accompagner les filières dans le développement à long terme de pratiques respectueuses des animaux et d’assurer la diffusion dans la sphère publique des connaissances scientifiques sur la sensibilité animale.
Etant donné les difficultés économiques et sociales que rencontre l’élevage notamment en France, le présent rapport s’est penché sur l’intérêt général de l’élevage qui répond aux nombreux besoins de la société. La légitimité de l’élevage étant rappelée, le rapport s’est intéressé à la construction du droit qui s’applique aux animaux, en particulier ceux utilisés à des fins d’élevage. Par la suite, différents scénarios d’évolution du traitement juridique des animaux ont été explorés. Enfin, pour chacun des scénarios définis, les conséquences sur la pratique de l’élevage ont été analysées : trois scénarios ont été retenus pour concilier la nature sensible des animaux et les activités d’élevage. Les membres du groupe de travail sur le statut juridique des animaux de l’Académie tiennent toutefois à souligner que ces trois scénarios nécessitent une analyse juridique plus approfondie pour s’assurer que les modifications proposées du traitement juridique des animaux ne remettent pas en cause les activités d’élevage.
L’élevage, une activité d’intérêt général qui répond aux besoins de la société
L’intérêt général de l’élevage étant généralement sous-estimé par les citoyens, le rapport rappelle la légitimité de l’élevage en évoquant les nombreux services qu’il rend à la société et aux humains. L’élevage satisfait avant tout aux besoins nutritionnels, mais il répond également à de nombreux autres besoins de la société : complémentarité avec les autres activités agricoles et notamment développement des systèmes de polyculture, amendements des sols, traction animale, aménagement du territoire par la mise en valeur de milieux naturels, accroissement de la biodiversité. Cependant, mettre en avant l’intérêt général de l’élevage ne peut en aucune manière légitimer les systèmes d’élevage productivistes qui ne répondent pas aux besoins comportementaux des animaux. Le débat actuel autour de la condition animale et du traitement juridique des animaux doit être perçu comme une opportunité pour accélérer la transformation de l’élevage vers des pratiques plus respectueuses du bien-être des animaux, des humains et de l’environnement.
Questionner l'avenir de l'élevage de rente au XXIème siècle au regard de l’évolution du droit des animaux implique également de s'intéresser à l'évolution des rapports entre l'Humain et les animaux. C’est particulièrement nécessaire dans les sociétés occidentales où la rupture entre les pratiques d’élevage et les citoyens-consommateurs est grande et où les animaux y compris les animaux de rente sont souvent personnifiés dans les ouvrages, films et documentaires animaliers destinés aux enfants et plus largement au grand public. De nombreuses questions restent en suspens. Quelle évolution de la relation entre l'Humain et les animaux ? Que devient l'acceptabilité sociétale de la mort de l'animal d'élevage de rente ? Comment éviter l’opposition stérile entre le bien-être des animaux et celui des humains étant donné les interactions entre le bien-être des animaux et la qualité de vie des éleveurs, que tente de souligner le concept « un seul bien-être » ? Le tout avec un regard économique nécessaire pour la viabilité de l’activité d’élevage en France.
Une nécessaire clarification du droit appliqué aux animaux
Aujourd’hui, ce sont des valeurs morales qui dominent les réflexions autour du traitement juridique des animaux, que portent les défenseurs de la cause animale. Par conviction ou par pure adaptation aux mouvements d’opinion, certains acteurs politiques revendiquent également ces valeurs éthiques. Néanmoins, la complexité juridique et les approches historiques et socioéconomiques des usages qui sont faits des animaux, ne sont pas suffisamment appréhendées dans les débats. Il importe donc d’approfondir les attendus de toute évolution du droit appliqué aux animaux à la lumière de la durabilité des activités d’élevage pour pallier l’absence de prospective lors de l'adoption de la loi du 16 février 2015.
Il faut rappeler que la rédaction du Code civil, notamment l’introduction de l’article 515-14 qui pose les règles d’appropriation des animaux, est loin de déterminer à elle seule le droit s’appliquant aux animaux. Il existe également des dispositions spécifiques dans le Code rural, le Code pénal ou encore le Code de l’environnement, complétées par des textes techniques (arrêtés, circulaires…) tous issus notamment de la réglementation européenne ou précisés par la jurisprudence. L'ensemble de ces textes forme un arsenal juridique conséquent et offre déjà une véritable protection aux animaux appropriés, domestiques en général et d’élevage de rente en particulier. Néanmoins, un effort devrait être entrepris pour parvenir à un arsenal juridique plus lisible, plus accessible à la compréhension du plus grand nombre et mieux appliqué.
Le questionnement du droit dans le traitement des animaux
Le groupe de travail de l’Académie a identifié huit scénarios possibles d’évolution du droit des animaux, allant du maintien des animaux dans leur statut actuel d’objet de droit jusqu’à un statut de sujet de droit qui leur permettrait de disposer d’une personnalité juridique. Explorer l’évolution du traitement juridique des animaux, c'est se demander si l'ensemble des règles les protégeant n'aboutiront pas à terme à leur reconnaitre un ensemble de droits de protection qui irait jusqu’à en interdire toute forme d’utilisation. La disparition de l’élevage ne serait pas forcément provoquée par une législation actant explicitement une interdiction de l’élevage. Mais elle pourrait résulter d’un changement de statut des animaux, bouleversant la relation entre les humains et les animaux, ou de l’empilement de réglementations s’ignorant les unes les autres et toujours plus exigeantes envers les activités d’élevage. Sur les huit scénarios identifiés, le scénario « Animal sujet » qui accorde aux animaux une personnalité juridique, vise clairement à abolir toute utilisation des animaux et notamment l'élevage de rente. Trois autres scénarios - « Animal objet », « Demi-personnalité » et « Du vivant » - extraient les animaux de la catégorie des biens sans pour autant en faire des sujets de droit, ils restent compatibles avec l'élevage de rente sous réserve de les accompagner de mesures particulières. Le scénario « Animal sui generis », quant à lui, paraît difficilement acceptable car il impose de sortir les animaux du Code civil.
Pour tous ces scénarios, à l’exception du scénario « Animal objet », il ressort un décalage entre la réalité juridique de l’inclusion de la sensibilité de l’animal dans le Code civil et les interprétations militantes qui considèrent que cette modification du Code civil sort l'animal de la catégorie des biens. En réalité, s’il reconnait sans la définir la sensibilité aux animaux toujours soumis au régime des biens, l’article 515-14 ne met pas un terme aux pratiques d’élevage dès lors qu’elles sont conformes à la réglementation en vigueur, dont le caractère protecteur pour les animaux est appelé à se renforcer prochainement lors de la révision de la réglementation européenne en matière de bien-être des animaux.
Trois scénarios juridiques d’intérêt pour l’élevage
Les trois scénarios restants - « statu quo », « biens animaux » et « biens vivants » - apparaissent compatibles avec l’existence de l’élevage. Le scénario de « statu quo » est nommé ainsi au regard du statut juridique actuel dans le Code civil, mais il faut noter son caractère évolutif étant donnée l’introduction possible de nouvelles législations protectrices de cette catégorie particulière en raison de la sensibilité reconnue aux animaux. Ce scénario permet de poursuivre la transformation de l’élevage pour faire concorder l'évolution des connaissances scientifiques sur la nature sensible des animaux et le maintien d’un élevage économiquement et socialement soutenable. Quant aux scénarios « biens animaux » et « biens vivants », ils affichent de manière très claire que si les animaux ou les espèces vivantes demeurent des bien appropriables, ils sont « particuliers » et doivent donc recevoir un traitement particulier les différenciant nettement des autres biens et impliquant des devoirs « particuliers » de leur propriétaire à leur égard. Il demeure cependant nécessaire d’approfondir l’analyse des attendus et des conséquences des modifications législatives proposées dans ces deux scénarios afin d’éviter tout risque d’interférence avec les activités d’élevage respectueuses des animaux.
L’évolution du droit s’est toujours inscrite dans le temps long avec pour perspective la construction d’une harmonie sociale. La construction du droit à la fois descendante et ascendante est à la base des grands changements juridiques. Du statut juridique des animaux découlent des régimes juridiques particuliers qui orientent les conditions de leur appropriation, de leur utilisation et de leur consommation. A l'inverse, le développement de régimes juridiques protecteurs au nom de la sensibilité des animaux conditionne un statut juridique de plus en plus protecteur. Néanmoins, au-delà de l’écriture des lois et du débat sur la nécessité de reconnaitre ou non des droits aux animaux, Robert Badinter (Anonyme, 2020) suggère de s’accorder plutôt sur les devoirs des êtres humains envers les animaux.
Le groupe de travail de l’Académie avait pour ambition d'identifier des scénarios d’évolution du droit pour les animaux, qui concilient le caractère sensible des animaux et leur qualité de biens, préservant ainsi les usages économiques des animaux dès lors que les conditions de leur utilisation respectent leurs besoins physiologiques et comportementaux. Pour chacune des trois hypothèses d’évolution du droit qui apparaissent compatibles avec l’existence de l’élevage, il reste à mieux évaluer les conséquences sociales, économiques et environnementales des évolutions juridiques avancées et à les rendre publiques pour
s’assurer qu’elles sont versées au débat et correspondent bien aux attentes sociétales. En effet, au-delà des nécessaires analyses par les spécialistes, toute perspective d’évolution du droit concernant les animaux d’élevage devrait passer par un exposé clair des attendus et par un débat public informé sur l’ensemble des conséquences de la transformation.
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Pour lire l'intégralité du rapport "Le statut juridique des animaux en France : Quelles évolutions ? Quelles répercussions pour l'élevage ?", cliquer sur le lien Internet, ci-dessous :