Sécurité et souveraineté alimentaires
Le 13 avril 2023, la journée d’études qu’organisent chaque année l’Association pour l’étude de l’histoire de l’agriculture (AEHA) et le Comité d’histoire de l’Inspection générale de l’environnement et du développement durable (IGEDD) aborda un thème qui fut toujours d’actualité, en France jusqu’au XVIIIe siècle, en Europe jusqu’au XIXe siècle, dans le monde jusqu’à nos jours : la sécurité alimentaire sans cesse espérée, bien souvent menacée.
L’Occident croyait échapper à l’inquiétude générale mais la pandémie du coronavirus, la perturbation des échanges, la guerre en Ukraine et l’augmentation très importante des coûts de l’énergie et donc ceux des produits de fertilisation et de protection des plantes, et enfin le changement climatique, facteur de stress pour les plantes et de limitation des accès à l’eau pour les agriculteurs, ont montré que la sécurité alimentaire demeurait fragile.
Fragile sécurité alimentaire
Six historiens observent les famines du XVIIe au XXe siècle et les réponses qui leur furent apportées : augmentation des rendements céréaliers, développement des cultures alternatives, tels les châtaigniers qui donnaient « le pain de bois », orientation de l’agriculture coloniale en fonction des besoins métropolitains, le sucre par exemple. Cette volonté d’accroître les volumes récoltés et d’élargir les ressources vivrières fut un puissant moteur de transformations environnementales.
Au XVIIIe siècle, les échanges interrégionaux commencèrent à unifier le marché national. Fiers de leur réussite coloniale, les Européens en oublièrent les famines de l’Amérique, de l’Afrique, de l’Océanie, de l’Asie. Ils les perçurent au XXe siècle au travers des reportages et des documentaires. Ils comprirent aussi qu’elles pouvaient revenir à l’occasion d’un conflit ou d’un intrus. Car « global », le commerce procurait des denrées nouvelles, bienfaits qui avaient leur revers : des ravageurs capables d’anéantir des productions vitales.
Les pouvoirs publics voulurent accroître la sécurité alimentaire tout en rassurant leurs populations : ils ont dénoncé les spéculateurs et rationné les consommateurs en temps de guerre ; ils ont profité de la paix pour instaurer une réglementation et des institutions destinées à contrer l’introduction de parasites avec une plante hôte, un container, un navire.
L’exigence de sécurité alimentaire
Animée par la journaliste Emmanuelle Ducros, la Table ronde sur la souveraineté alimentaire a confronté les points de vue de Bruno Cinetti (1), Jean-Robert Pitte (2) et Etienne Verrier (3). L’approche de la FAO va au-delà de la sécurité alimentaire : chaque État peut déterminer sa politique agricole, réglementer ses productions et ses échanges dans la perspective du développement durable, préserver ses producteurs d’une concurrence déloyale et ses citoyens des hausses intempestives et des risques sanitaires. Cela renvoie à des sujets complexes. Ainsi, la maîtrise de l’eau divise les pays et ses utilisateurs, tout comme le rôle de l’élevage dans la défense des paysages et des animaux. Les orateurs s’accordent sur la nécessité de l’adaptation des cultures, du partage équitable des ressources dans le cadre d’une politique agricole régionale, sans oublier l’éducation des consommateurs et une gestion sociale du monde agricole. C’est dire si les débats furent vifs et argumentés…
Andrée Corvol et Nadine Vivier, membres de l’Académie d’agriculture de France, présidente et vice-présidente de l’AEHA
(1) Président de la section milieux, ressources et risques de l’IGEDD.
(2) Président de la Société de géographie, membre de l’Institut.
(3) Professeur en génétique animale à AgroParisTech.
> Revivre la journée d’études sur « La sécurité alimentaire »
Photo (Wikipédia – Vincent Van Gogh – avril 1885) : Les mangeurs de pommes de terre
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Food security and sovereignty
On 13 April 2023, the annual study day organised by the AEHA (Association pour l'étude de l'histoire de l'agriculture) and the History Committee of the IGEDD (Inspection générale de l'environnement et du développement durable) addressed a theme that has always been topical, in France until the 18th century, in Europe until the 19th century, and in the world until today: food security, which is constantly hoped for, and very often threatened.
The Western world thought it had escaped the general concern, but the coronavirus pandemic, the disruption of trade, the war in Ukraine and the very significant increase in the cost of energy and therefore the cost of fertilisers and plant protection products, and finally climate change, a stress factor for plants and a limitation of access to water for farmers, have shown that food security remains fragile.
Fragile food security
Six historians have observed the famines of the 17th to 20th centuries and the responses to them: increased cereal yields, development of alternative crops such as chestnut trees that gave "wood bread", and the orientation of colonial agriculture towards metropolitan needs, such as sugar. This desire to increase the volumes harvested and expand food resources was a powerful driver of environmental change.
In the 18th century, interregional trade began to unify the national market. Proud of their colonial success, Europeans forgot about the famines in America, Africa, Oceania and Asia. In the twentieth century, they perceived them through reports and documentaries. They also understood that they could return when there was a conflict or an intruder. For "global" trade provided new commodities, but there was a downside: pests that could wipe out vital production.
Governments wanted to increase food security while reassuring their populations: they denounced speculators and rationed consumers in times of war; they took advantage of peace to establish regulations and institutions to counter the introduction of pests with a host plant, a container, a ship.
The need for food security
Moderated by journalist Emmanuelle Ducros, the round table on food sovereignty brought together the views of Bruno Cinetti (1), Jean-Robert Pitte (2) and Etienne Verrier (3). The FAO's approach goes beyond food security: each State can determine its agricultural policy, regulate its production and trade in the perspective of sustainable development, protect its producers from unfair competition and its citizens from untimely price increases and health risks. This brings us back to complex issues. For example, water management divides countries and users, as does the role of livestock farming in protecting the landscape and animals. The speakers agreed on the need to adapt crops, to share resources fairly within the framework of a regional agricultural policy, not forgetting consumer education and social management of the agricultural world. The debates were lively and well argued...
Andrée Corvol and Nadine Vivier, members of the French Academy of Agriculture, president and vice-president of the AEHA
(1) President of the Environment, Resources and Risks section of the IGEDD.
(2) President of the Geography Society, member of the Institute.
(3) Professor of animal genetics at AgroParisTech.
> Relive the study day on "Food safety"
Photo (Wikipédia – Vincent Van Gogh – avril 1885) : Potato eaters