Le statut juridique des animaux en France : quelles évolutions possibles ?
Des êtres doués de sensibilité
Un grand écart s’est creusé depuis l’après-guerre dans les conditions animales, entre l’animal de rente, longtemps invisible mais dont l’élevage et la mise à mort suscitent désormais des controverses au sein de la société, et l’animal de compagnie, véritable membre de la cellule familiale.
Le débat sociétal autour de l’utilisation des animaux, conjugué à l’accroissement des connaissances scientifiques sur leurs capacités cognitives et leur sensibilité, a conduit en 2015 le législateur français à introduire l’article 515-14 dans le Code civil : « Les animaux sont des êtres doués de sensibilité. Sous réserve des lois qui les protègent, les animaux sont soumis au régime des biens ». L’introduction dans le Code civil de cet article permet une harmonisation avec le Code rural et le Traité de fonctionnement de l’Union européenne (respectivement, L214 et article 13) qui définissaient déjà l’animal comme sensible.
Le statut des animaux et la légitimité de l’élevage
Depuis, plusieurs juristes universitaires s’interrogent sur une meilleure identification du statut des animaux dans le droit français. Certains suggèrent même de supprimer les liens de propriété associés au statut de biens pour offrir aux animaux une personnalité juridique et leur reconnaître des droits. Cette suppression qui s’oppose à la « summa divisio » correspondant à la séparation juridique radicale entre les personnes et les choses, ancrée dans notre histoire morale et politique, mettrait en cause la légitimité de l’élevage.
En raison de l’importance de cette question, l’Académie d’agriculture de France a organisé le 16 novembre 2022 une séance publique reprenant les réflexions d’un de ses groupes de travail autour d’une possible évolution du statut juridique des animaux et des conséquences pour l’élevage.
Michel Rieu, expert en économie rurale, a présenté les multiples légitimités de l’élevage, comme source de nutrition humaine avant tout mais aussi pour le maintien de la biodiversité et la nécessité de gérer les sols, les espaces et les paysages. Il a rappelé que le respect du bien-être des animaux est une composante déclarée de la durabilité de l’élevage, notamment dans le cadre agroécologique.
Légitimités et normativités s’affrontent et sont sources de l’évolution de la légalité, en particulier via les jurisprudences. Carole Hernandez Zakine, juriste, a rappelé que la construction du droit nécessite de sortir de l’émotion. Elle a montré que le statut de bien appropriable qui définit actuellement les animaux domestiques, leur confère déjà de nombreuses protections via les différents codes juridiques.
Huit scénarios d’évolution du droit des animaux
Gérard Maisse, spécialiste halieutique et élevage, a ensuite présenté huit scénarios d’évolution du droit des animaux, identifiés par le groupe de travail à partir notamment d’auditions de juristes. Pour chacun des scénarios, il a résumé les conséquences sur l’élevage. Certains scénarios plus ou moins compatibles avec l’élevage restent à approfondir : c’est le cas des scénarios « statut quo », « biens animaux » et « biens vivants ».
Bertrand Hervieu, sociologue, a été sollicité pour apporter un regard extérieur sur les réflexions du groupe de travail. Il a alors insisté sur la nécessité de clarifier les attendus d’une éventuelle évolution de la situation juridique des animaux et d’en envisager l’ensemble des conséquences avant de prôner toute évolution.
Marie-Françoise Le Guyader et Alain Boissy, membres de l’Académie d’agriculture de France, animateurs du groupe de travail sur « le statut juridique des animaux »
> Revivre la séance hebdomadaire : Le statut juridique des animaux en France
Photo (A. Boissy) : Pâturage autour du Puy-de-Dôme
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The legal status of animals in France: what developments are possible?
Sentient beings
Since the post-war period, there has been a great divide in animal conditions, between the livestock animal, which has long been invisible but whose breeding and slaughtering have become controversial in the society, and the pet animal, a true member of the family unit.
The societal debate around the use of animals, combined with the increase in scientific knowledge about their cognitive capacities and sentience, led the French legislator in 2015 to introduce Article 515-14 into the Civil Code: "Animals are sentient beings. Subject to the laws that protect them, animals are subject to the regime of property". The introduction of that item in the Civil Code enables harmonisation with the Rural Code and the Treaty on the Functioning of the European Union (L214 and Article 13 respectively), which already defined the animal as sentient.
The status of animals and the legitimacy of breeding
Since then, several legal academics have been questioning whether the status of animals in French law should be better identified. Some have even suggested that the property ties associated with the status of property should be removed in order to give animals a legal personality and recognise their rights. This suppression, which is opposed to the "summa divisio", a radical legal separation between persons and things, rooted in our moral and political history, would call into question the legitimacy of livestock farming.
Because of the importance of this issue, the French Academy of Agriculture organised a public session on 16 November 2022 to discuss the reflections of one of its working groups on the possible evolution of the legal status of animals and the consequences for animal husbandry.
Michel Rieu, an expert in rural economics, presented the multiple legitimacy of livestock farming, first and foremost as a source of human nutrition, but also for maintaining biodiversity and the need to manage soils, spaces and landscapes. He recalled that respect for animal welfare is a component of the sustainability of livestock farming, particularly in the agro-ecological framework.
Legitimities and normativities clash and are the source of the evolution of legality, in particular through jurisprudence. Carole Hernandez Zakine, a lawyer, reminded the audience that the construction of law requires us to move beyond emotion. She showed that the status of appropriable property that currently defines domestic animals gives already them numerous protections via the various legal codes.
Eight scenarios for the evolution of animal law
Gérard Maisse, a specialist in fisheries and animal husbandry, then presented the eight scenarios for the development of animal law, identified by the working group on the basis of hearings with legal experts. For each scenario, he summarised the consequences for livestock farming. Some scenarios that are more or less compatible with livestock farming remain to be studied in greater depth: this is the case for the "status quo", "animal goods" and "living goods" scenarios.
Bertrand Hervieu, a sociologist, was asked to provide an outside perspective on the working group's reflections. He stressed the need to clarify the expectations of a possible change in the legal situation of animals and to consider all the consequences before advocating any change.
Marie-Françoise Le Guyader and Alain Boissy, members of the French Academy of Agriculture, leaders of the working group on the legal status of animals
> Review the session: The legal status of animals in France